Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Paula Vivili, et je suis le Directeur de la Division Santé Publique de la Communauté du Pacifique (CPS). Je suis originaire des Tonga, et je travaille à la CPS depuis sept ans. J’ai principalement travaillé dans le domaine de la nutrition, des maladies non transmissibles et de la santé publique. Toutes mes expériences m’ont aidé à relever les défis de mon activité au sein de l’Organisation.
Au cours de votre carrière, avez-vous déjà été confronté à des situations semblables à la pandémie de COVID-19 ?
Si l’on parle d’ampleur, la plupart des professionnels de la santé publique répondront non. Gérer une telle pandémie est du jamais vu pour la plupart, sinon la totalité d’entre nous. En Océanie, c’est vraiment la première fois que nous devons faire face à quelque chose d’une telle ampleur. Nous ne sommes pas étrangers aux épidémies : les épidémies de dengue ou de Zika ne sont pas rares, et l’an dernier, la rougeole a frappé assez durement la région, mais, en Océanie comme dans le reste du monde, jamais nous n’avons été confrontés à un phénomène comme celui-ci. Les autres coronavirus, tels que le SRAS ou le MERS, n’ont jamais touché le Pacifique. Malheureusement, il n’en va pas de même avec ce nouveau coronavirus.
Quelles sont les difficultés des pays océaniens dans la riposte à la pandémie ?
Seuls cinq pays de la région peuvent pratiquer eux-mêmes le dépistage : les Fidji, Guam, la Nouvelle-Calédonie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la Polynésie française. Les dix-sept autres doivent envoyer leurs échantillons en Nouvelle-Zélande, en Australie ou dans l’un de ces cinq pays. Toutefois, compte tenu des restrictions mises en place sur les déplacements, leurs capacités à envoyer ces échantillons à l’étranger sont faibles. Cela n’est pas sans conséquence : nous nous efforçons de lutter contre la maladie, mais nous ne sommes pas en mesure de réaliser des tests à l’échelle locale.
Une autre difficulté majeure réside dans la capacité des pays de la région à gérer les cas de COVID-19 : nous savons que, sur 100 personnes infectées par le virus, 80 présenteront des symptômes bénins, 15 une pathologie grave, et 5 des affections critiques, qui nécessiteront des soins intensifs. Bon nombre de pays d’Océanie ne sont en mesure de prodiguer de tels soins intensifs qu’à cinq personnes en même temps, voire moins. Il est donc essentiel de limiter le plus possible le nombre de cas.
Comment la CPS aide-t-elle les pays océaniens à réagir à la crise ?
À la CPS, nous possédons des domaines de compétences cruciaux : le renforcement des systèmes de santé, le renforcement des laboratoires, l’amélioration des capacités de surveillance et des services cliniques, ou encore la gestion de la communication sur les risques. Ce sont là les domaines dans lesquels nous soutenons nos pays membres.
Une équipe interinstitutionnelle de gestion des incidents a été constituée, sous la houlette de l’OMS, avant que le coronavirus ne soit classé comme pandémie. Tous les membres (institutions spécialisées des Nations Unies, ONG et bailleurs de fonds) participant à la riposte peuvent ainsi coordonner l’aide apportée aux pays. Tous les besoins des pays signalés par l’un de ces membres transitent par l’équipe interinstitutionnelle, afin que tout le monde soit sur la même longueur d’onde et que la réponse fournie puisse être la bonne.
Prenons l’exemple des services de laboratoire : notre équipe a rejoint un petit groupe coopératif de spécialistes au sein de l’équipe interinstitutionnelle (groupe consultatif sur les laboratoires). Nous espérons que, grâce à ce groupe, nos membres pourront être en mesure d’effectuer des dépistages du coronavirus dans les pays d’ici deux semaines. Cela devrait être permis par l’utilisation d’une machine déjà disponible dans les pays pour le dépistage de la tuberculose : la société qui a créé cette machine peut également réaliser des cartouches de tests COVID-19. Ces cartouches ont été approuvées par la FDA, l’autorité sanitaire des États-Unis, ainsi que par les autorités de santé australiennes.
Prenons un autre exemple : les services cliniques. Les pays disposent de capacités relativement limitées pour traiter les cas dans le domaine clinique, et la CPS travaille avec ses partenaires pour répondre à leurs besoins de respirateurs, mais aussi d’autres équipements et services pour les patients.
Nous nous efforçons également de fournir aux pays des procédures opératoires normalisées, afin de les aider à mieux gérer les patients.
À l’heure des mesures de confinement et des restrictions de déplacements, comment votre équipe continue-t-elle à travailler ?
Avant la mise en place de ces restrictions, nous envoyions des équipes dans les pays : il n’était pas rare que nous ayons cinq à dix personnes sur le terrain en même temps. Les restrictions nous forcent à assurer cette aide à distance. Par exemple, les Fidji ont demandé, il y a peu, une aide à la formation concernant la certification de la cause de décès liés au coronavirus, sur trois sites du pays. Ce travail est essentiel pour que les médecins puissent consigner correctement, sur les certificats, tout décès causé par le coronavirus. La CPS dirige le travail sur cette question. Les formations seront organisées par Zoom (un outil de visioconférence), sur une journée pour chaque site.
Actuellement, les technologies liées à Internet se sont améliorées dans les pays, grâce à différents projets financés par des bailleurs de fonds, qui ont permis la pose de câbles sous-marins. Nous savons bien que sans ces progrès, la gestion de la crise nous aurait posé bien plus de problèmes.
Que souhaitez-vous dire aux populations océaniennes ?
Il faut faire attention, mais ne pas se laisser gagner par la panique. Si l’on n’entre pas en contact avec le virus, on ne tombera pas malade. C’est pour cela qu’un grand nombre de mesures ont été prises pour empêcher l’exposition des personnes au virus. On parle beaucoup de distanciation sociale. Ce terme désigne le fait de garder une distance entre soi et les autres. Le virus se propage par les gouttelettes ; conserver ses distances permet de réduire considérablement les risques de contagion. Nous incitons également les gens à se laver fréquemment les mains. N’importe quel savon ou gel hydroalcoolique convient, mais il faut que le lavage des mains dure au moins 40 secondes. Toutefois, il faut faire très attention, mais ne pas s’empêcher de vivre pour autant. Nous devons simplement respecter les consignes pour nous protéger de cette maladie.
Du point de vue de la santé, quelle est votre vision de l’après-pandémie ?
Dans le domaine de la préparation et de la riposte, cette crise rendra les pays mieux préparés que jamais. Les événements leur ont permis d’améliorer leur système de santé ; les partenaires, les bailleurs de fonds et les organisations telles que la CPS savent bien mieux comment aider les pays, et sont désormais bien mieux placés pour le faire. Du point de vue de la santé, les pays seront donc mieux armés pour réagir à toute nouvelle pandémie qui pourrait se déclarer.